Traduction de l’Humour : Défis et Stratégies
22 octobre 2024AFTraduction · Translating Humour : challenges and solutions
Traduire l’humour est sans doute l’une des tâches les plus complexes et délicates qui incombent au traducteur. Bien plus qu’une simple conversion de mots d’une langue à une autre, il s’agit de transposer une émotion, une réaction – le rire – qui est profondément ancrée dans des contextes culturels, linguistiques et sociaux spécifiques. L’enjeu principal est donc de recréer l’effet comique original pour un public cible différent, sans perdre l’essence ni la saveur du message. Cet article se propose d’explorer les arcanes de cette discipline, en analysant les mécanismes de l’humour, les défis inhérents à sa traduction, les facteurs à considérer et les stratégies envisageables pour y parvenir.
Qu’est-ce qui fait rire ? Les mécanismes de l’humour
Avant de songer à traduire l’humour, il est essentiel de comprendre ce qui le constitue. L’humour repose sur une multitude de mécanismes, souvent combinés :
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L’incongruité et la surprise : La juxtaposition d’éléments inattendus, illogiques ou décalés.
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Le jeu de mots : Exploitation de la polysémie (plusieurs sens d’un mot), de l’homophonie (mots se prononçant pareil mais ayant des sens différents) ou des sonorités.
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L’exagération (hyperbole) : Amplifier une situation ou un trait de caractère jusqu’à l’absurde.
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L’ironie et le sarcasme : Dire le contraire de ce que l’on pense, souvent avec une intention critique.
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La parodie et la satire : Imitation burlesque d’un style, d’une œuvre ou critique moqueuse des mœurs.
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Les références culturelles partagées : Allusions à des personnalités, des événements, des œuvres ou des stéréotypes connus d’un groupe spécifique.
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L’humour de situation (slapstick) : Comique visuel basé sur des gags physiques, des chutes, etc.
On l’aura compris, nombre de ces mécanismes sont intimement liés à la langue et à la culture d’origine. C’est là que réside le premier grand défi pour le traducteur.
Le casse-tête du traducteur : Pourquoi l’humour est-il si difficile à transposer ?
La traduction de l’humour se heurte à plusieurs obstacles majeurs, qui expliquent sa réputation de « mission quasi impossible ».
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Les barrières linguistiques :
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Les jeux de mots : Souvent intraduisibles littéralement, car ils reposent sur les spécificités phonétiques ou sémantiques d’une langue donnée. Un calembour brillant en français peut tomber complètement à plat une fois transposé mot à mot en anglais.
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Les expressions idiomatiques et les proverbes : Ces tournures imagées, si elles ne trouvent pas d’équivalent direct et aussi percutant dans la langue cible, perdent leur force comique.
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Le rythme et la sonorité : Particulièrement en poésie ou dans les chansons humoristiques, la musicalité des mots contribue à l’effet comique.
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Les barrières culturelles :
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Les références spécifiques : L’humour basé sur des personnalités politiques locales, des émissions de télévision populaires uniquement dans un pays, ou des faits historiques méconnus ailleurs, ne sera pas compris par un public étranger.
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Les normes sociales et les tabous : Ce qui est considéré comme drôle dans une culture peut être perçu comme offensant, déplacé, voire incompréhensible dans une autre. L’humour sur la religion, la sexualité ou la mort varie énormément d’un pays à l’autre.
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Le « sens de l’humour » national : Chaque culture développe des formes d’humour privilégiées. L’humour britannique, réputé pour son flegme et son absurdité, diffère de l’humour américain, souvent plus direct et basé sur l’autodérision, ou de l’humour français, qui peut être plus intellectuel ou satirique.
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La subjectivité de l’humour : Même au sein d’une même culture, ce qui fait rire une personne peut en laisser une autre de marbre. Le traducteur doit donc non seulement comprendre l’humour original, mais aussi anticiper la réaction du public cible.
Les facteurs déterminants pour une traduction réussie
Plusieurs éléments contextuels influencent grandement la manière d’aborder la traduction de l’humour :
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Le public cible : Son âge, son bagage culturel, ses attentes et sa familiarité avec la culture source sont primordiaux. On ne traduira pas de la même manière pour des enfants ou pour des adultes avertis.
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Le médium :
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Texte écrit (livre, article) : Le traducteur peut parfois utiliser des notes de bas de page (avec parcimonie pour ne pas alourdir et tuer l’effet).
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Audiovisuel (film, série, jeu vidéo) : Les contraintes de synchronisation labiale (pour le doublage) ou de temps et d’espace (pour les sous-titres) sont cruciales. L’humour visuel peut parfois compenser une perte au niveau du texte.
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Spectacle vivant (stand-up) : L’interaction avec le public et l’immédiateté de la réaction sont des facteurs clés.
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L’intention de l’auteur et la fonction de l’humour : S’agit-il d’un simple divertissement ? D’une critique sociale ? D’un élément crucial pour la caractérisation d’un personnage ? La réponse orientera les choix de traduction.
Naviguer entre les langues et les cultures : Quelles stratégies adopter ?
Face à ces défis, le traducteur dispose d’un arsenal de stratégies. Il ne s’agit pas de recettes miracles, mais plutôt d’approches à adapter au cas par cas :
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La traduction littérale : Rarement efficace pour l’humour, elle ne fonctionne que si le mécanisme humoristique est universel et que les structures linguistiques sont suffisamment proches.
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L’équivalence ou l’adaptation : C’est souvent la stratégie privilégiée. Elle consiste à trouver dans la culture cible un équivalent fonctionnel qui produira un effet comique similaire, même si le contenu littéral diffère. Par exemple, remplacer un jeu de mots sur une personnalité française par un jeu de mots sur une personnalité connue dans le pays cible.
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La compensation : Si un trait d’humour est intraduisible à un endroit précis, le traducteur peut tenter de « compenser » cette perte en introduisant un effet comique équivalent à un autre endroit du texte, là où la langue cible le permet plus aisément. Cela exige une grande finesse et une bonne compréhension de l’œuvre globale.
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L’explicitation (ou note du traducteur) : Utilisée avec précaution, elle peut clarifier une référence culturelle indispensable. Cependant, expliquer une blague revient souvent à la tuer. Elle est donc plus adaptée à des contextes académiques ou pour des détails culturels de fond.
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L’omission : En dernier recours, si un trait d’humour est absolument intraduisible, non essentiel à l’intrigue et que toute tentative d’adaptation serait maladroite ou contre-productive, il peut être préférable de l’omettre.
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La création : Pour les jeux de mots particulièrement retors, le traducteur peut être amené à créer un nouveau jeu de mots dans la langue cible, en s’efforçant de respecter l’esprit et le ton de l’original. C’est un acte de véritable réécriture créative.
On imagine aisément que ces stratégies demandent non seulement une maîtrise parfaite des deux langues et cultures, mais aussi une bonne dose de créativité, d’empathie et, bien sûr, un solide sens de l’humour.
L’humour en traduction : Quelques illustrations concrètes
Pour mieux saisir la complexité, prenons quelques exemples :
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Les noms des personnages dans Astérix : Les jeux de mots sur les noms (Assurancetourix, Ordralfabétix) sont brillamment adaptés dans de nombreuses langues pour conserver un effet comique basé sur des références locales ou des sonorités amusantes (par exemple, Cacofonix en anglais pour Assurancetourix, évoquant la cacophonie).
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Les références culturelles dans Les Simpsons : La série fourmille d’allusions à la culture populaire américaine. Les traducteurs doivent constamment jongler entre laisser la référence telle quelle (si elle est suffisamment connue internationalement), l’adapter à une référence locale, ou trouver une tournure plus générique.
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Un simple jeu de mots : Imaginons la phrase française « Il est allé au bal pour faire des rencontres, mais il n’a rencontré que des râteaux. » Le mot « râteau » a ici le double sens d’outil de jardinage et de refus amoureux. Une traduction littérale en anglais (« He went to the dance to meet people, but he only met rakes ») n’aurait aucun sens. Il faudrait trouver une expression idiomatique anglaise équivalente pour l’échec sentimental, ou créer une nouvelle blague si le contexte le permet.
Ces exemples soulignent que le traducteur d’humour est souvent un véritable auteur, jonglant avec les mots et les idées pour atteindre son but ultime : faire rire.
Conclusion
Traduire l’humour est un art exigeant qui va bien au-delà de la simple compétence linguistique. Cela requiert une profonde compréhension des nuances culturelles, une grande créativité et une capacité à se mettre à la place du public cible. Les défis sont nombreux, allant des jeux de mots intraduisibles aux références culturelles obscures, en passant par la subjectivité même du rire. Cependant, grâce à un éventail de stratégies allant de l’adaptation à la création, le traducteur talentueux peut réussir à franchir ces barrières. Lorsqu’elle est bien réalisée, la traduction de l’humour permet de transcender les frontières linguistiques et culturelles, de partager des moments de joie et de compréhension mutuelle, et d’enrichir notre perception du monde à travers le prisme universel du rire..