Post-édition : pourquoi les traducteurs y résistent ?

31 mars 2025

Comprendre la résistance à la post-édition en traduction

La post-édition de traduction automatique s’impose aujourd’hui comme pratique incontournable dans l’industrie de la traduction. Pourtant, elle continue de susciter des réactions hostiles chez de nombreux professionnels de la traduction.
Pourquoi une telle résistance ? Les raisons dépassent largement les considérations économiques.
Dans cet article, nous analysons les dimensions psychologiques, historiques et identitaires qui expliquent cette relation complexe entre traducteurs professionnels et post-édition.

L’héritage historique de la post-édition en traduction

Quand le correcteur devient l’assistant de la machine

La post-édition traduction porte un héritage historique peu reluisant qui influence encore la perception des traducteurs. Dès les débuts de la traduction automatique, la post-édition était considérée comme une simple correction nécessaire pour compenser les faiblesses des systèmes automatiques, alors bien moins performants qu’aujourd’hui.
Plus révélateur encore, certains chercheurs considéraient la post-édition comme une simple « étape finale » transitoire avant d’atteindre des systèmes entièrement automatiques. Cette vision plaçait d’emblée le traducteur humain dans une position subalterne, celle d’un correcteur temporaire plutôt que celle d’un expert assisté par la technologie.
Cette genèse peu flatteuse a forgé une réputation défavorable qui, malgré les progrès technologiques considérables, continue d’influencer la perception de la post-édition de textes traduits automatiquement.

La crise d’identité des traducteurs professionnels

L’artisan réduit au rôle de retoucheur

Au cœur de la résistance se trouve une question fondamentale d’identité professionnelle. Des figures éminentes comme Hofstadter comparent la post-édition de traduction machine à l’amélioration d’une œuvre d’art médiocre – une tâche ingrate pour un véritable artiste.
Cette métaphore résonne chez de nombreux traducteurs qui perçoivent leur métier de traducteur non pas comme une simple transposition linguistique, mais comme un art créatif exigeant sensibilité et finesse. La post-édition, en partant d’un produit préfabriqué, peut être ressentie comme une tâche moins noble que la traduction traditionnelle.
Le glissement du statut de créateur à celui de « contrôleur qualité » constitue une véritable crise identitaire pour des professionnels qui ont souvent choisi ce métier de traduction par passion pour les langues et la communication interculturelle.

Les défis cognitifs de la traduction automatique neuronale

L’illusion de la fluidité et les erreurs invisibles

L’avènement de la traduction automatique neuronale (TAN) a considérablement amélioré la fluidité apparente des textes générés par les machines. Paradoxalement, cette amélioration peut rendre la post-édition plus frustrante. Les systèmes neuronaux produisent des erreurs plus subtiles et moins flagrantes.
Des recherches, comme celles menées par Vieira, ont démontré que même des étudiants en traduction avaient un taux de correction d’erreurs plus faible en post-éditant de la traduction neuronale, malgré une meilleure qualité globale du produit. Ces erreurs, plus discrètes mais potentiellement graves, concernent notamment :
• La terminologie spécialisée
• L’adéquation au sens du texte source
• Les nuances culturelles
Cette caractéristique de la TAN engendre un paradoxe cognitif : le post-éditeur professionnel doit investir un effort mental considérable pour déceler des erreurs peu apparentes dans un texte qui semble pourtant bien écrit. Cette dissonance crée une charge cognitive particulière, source de stress.

Correction d'erreurs post-édition

Autonomie et agentivité des traducteurs

Quand la machine dicte le processus traductionnel

L’intégration de la traduction automatique dans le workflow redéfinit profondément la relation du traducteur à son métier. Comme l’observe Zetzsche, certains outils peuvent être perçus comme des « instruments étouffants pour les sensibilités humaines du traducteur technique ».
Ce sentiment de perte d’autonomie est particulièrement prégnant. Le professionnel de la traduction passe d’un rôle de créateur de texte à celui d’« opérateur de TAO » qui « remplit les blancs » laissés par la machine. Cette transformation peut être vécue comme une dépossession de son expertise.
L’agentivité – ce sentiment d’être l’acteur principal du processus créatif – joue un rôle crucial dans la satisfaction professionnelle. Sa diminution au profit d’un système automatisé génère un malaise chez des traducteurs habitués à exercer leur jugement à chaque étape du processus de traduction.

Le déséquilibre économique de la post-édition

L’effort invisible et sous-évalué du post-éditeur

Les préoccupations concernant la rémunération de la post-édition de traduction alimentent également les réticences. La tarification de cette activité reste un terrain complexe, avec des modèles variés qui peinent à refléter l’effort réel nécessaire.
Cette difficulté est particulièrement marquée lorsque la qualité de la traduction automatique est faible, obligeant le post-éditeur à pratiquement retraduire le texte tout en étant rémunéré à un tarif inférieur. À l’inverse, certains modèles créent paradoxalement une incitation à effectuer plus de modifications que nécessaire pour augmenter la rémunération au mot.
Cette incertitude économique et cette sous-évaluation de l’effort intellectuel contribuent significativement au mécontentement des traducteurs face à la post-édition de contenus traduits automatiquement.

La résistance technologique chez les traducteurs

Entre technophobie et manque de formation à la post-édition

Il serait réducteur d’ignorer qu’une part de la résistance à la post-édition relève d’une résistance plus générale au changement technologique. Même si la traduction machine est de plus en plus intégrée dans l’industrie, tous les traducteurs ne sont pas nécessairement à l’aise avec ces outils.
Cette réticence technologique est souvent amplifiée par un manque de formation spécifique à la post-édition. Les compétences requises pour cette activité diffèrent en partie de celles de la traduction humaine traditionnelle, créant un sentiment d’insécurité chez des professionnels pourtant chevronnés.
L’absence de parcours de formation clairement établis contribue à entretenir une perception négative de la post-édition traduction automatique comme une activité imposée sans les moyens adéquats pour l’exercer efficacement.

Préjugés face à la traduction automatique

Quand la perception déforme la réalité traductionnelle

Les préjugés envers la traduction automatique peuvent également influencer l’attitude des traducteurs face à la post-édition, indépendamment de la qualité réelle du texte à réviser. Teixeira a mis en évidence un phénomène révélateur : lorsque des traductions suggérées étaient incorrectes, les traducteurs avaient tendance à supposer qu’elles provenaient de la traduction automatique, même lorsque ce n’était pas le cas.
Ce biais cognitif illustre comment des attitudes négatives préexistantes peuvent colorer la perception de la post-édition traduction machine. Un traducteur abordant cette tâche avec un a priori défavorable sera plus susceptible de remarquer les défauts du texte, créant ainsi un cercle vicieux de renforcement de ses préjugés initiaux.

 

Cas particulier : la traduction littéraire et la post-édition

Quand la créativité prime sur l’efficacité du processus traductionnel

Dans certains domaines spécifiques, la résistance à la post-édition trouve des justifications particulièrement solides. La traduction littéraire constitue l’exemple le plus évident, en raison de l’importance fondamentale de la créativité et de l’esthétique – des aspects que la traduction automatique peine encore à maîtriser.
Les traducteurs littéraires, véritables passeurs culturels, privilégient souvent la traduction à partir de zéro pour conserver la pleine maîtrise de leur style et de leur interprétation. Cette préférence n’est pas un simple attachement nostalgique à des méthodes traditionnelles, mais la reconnaissance des limites actuelles de la technologie face à la complexité du texte littéraire.

 

Solutions pour une meilleure intégration de la post-édition

Adoption-post-edition

L’aversion de certains traducteurs pour la post-édition de traduction automatique est donc un phénomène complexe aux racines multiples : historiques, identitaires, cognitives, économiques et psychologiques. Loin d’être un simple refus du progrès, elle reflète des préoccupations légitimes concernant la transformation d’un métier profondément humain.
Pour favoriser une adoption plus positive de la post-édition dans le métier de traducteur, plusieurs stratégies peuvent être envisagées :

1. Revaloriser le rôle du post-éditeur

o Reconnaître l’expertise unique qu’il apporte au processus

o Créer des certifications professionnelles spécifiques

2. Développer des formations adaptées

o Proposer des cursus spécifiques sur la post-édition traduction automatique neuronale
o Intégrer les techniques de post-édition dans les formations initiales

3. Concevoir des outils respectant l’agentivité

o Développer des interfaces permettant plus de contrôle au traducteur
o Permettre la personnalisation des systèmes de traduction automatique

4. Élaborer des modèles de rémunération équitables

o Refléter l’effort cognitif réel du post-éditeur
o Créer des grilles tarifaires transparentes basées sur la qualité initiale

5. Adapter les approches selon les types de textes

o Reconnaître que la post-édition n’est pas universellement applicable
o Préserver des espaces de traduction traditionnelle dans certains domaines

À mesure que la technologie de la traduction automatique neuronale continue d’évoluer, il devient crucial de prendre en compte ces dimensions psychologiques et professionnelles pour créer un environnement où traducteurs et machines peuvent collaborer de manière harmonieuse.
La post-édition de traduction n’est pas simplement un processus technique, mais une pratique qui touche à l’essence même du métier de traducteur au XXIe siècle. En reconnaissant ces préoccupations profondes, l’industrie pourra transformer cette résistance en une opportunité de réinvention créative de la profession.